SOUVENIRS DE POMMES
Peu avant les premières gelées automnales, je me trouvais sous un vieux pommier, en train de remplir un panier de ses délicieux fruits; si nombreux qu' un tapis couleur or-vermeille s' était formé dessus l' herbe.
Admiratif devant ce tableau, beau à faire rougir de honte bon nombre de nos artistes contemporains, il me revint à la mémoire une petite comptine que me chantait Malvina, ma grand-mère maternelle.
Me prenant sur ses genoux, bonne-maman m' y faisait sautiller en cadence, chuchotant doucement à mon oreille :
Pomm'de reinette et pomm' d' api,
Tapis, tapis rouge.
Pomm' de reinette et pomm' d'api,
Tapis, tapis gris...
Et ainsi de suite, mais la série me paraissait toujours trop courte tant je savourais ce petit moment d' intimité avec cette femme, beaucoup trop tôt disparue.
Dans mon étourdissement provoqué par ce doux souvenir, je crus entendre, comme une complainte venant du tapis dont je bousculais quelques-unes des composantes ; et la complainte se révéla être ce petit poème que mademoiselle Esther nous avait appris à l' école gardienne de notre village de Néthen :
Petite pomme
Petite pomme au bord du pré
Si je te donne un coup de pied
Jusqu’où iras-tu rouler ?
Oh ! Je t’en prie
Je suis déjà toute pourrie
Laisse-moi là, au bord du pré
Finir ma vie
Sous mon pommier.
Lorsque je fus de retour à la maison, la compote que je préparais commença rapidement à embaumer toute ma demeure, et me rappela encore cet autre souvenir d' enfance : le parfum émanant du four du poêle à charbon de Mariette, la maman de mon meilleur ami de l' époque : Daniel Goffin.
En effet, après des heures passées à jouer dans la neige, pendant que nous nous réchauffions, les pieds contre la réconfortante source de chaleur, Mariette y avait fait cuire un délicieux plat de pommes fourrées de beurre, sucre et cassonade. Je n' ai jamais oublié la façon toute naturelle et inattendue avec laquelle cette famille néthenoise m' invita à partager ce savoureux plat, accompagné de tartines beurrées...
Une flopée de souvenirs se bousculent à présent aux portillon de ma mémoire, tels les délicieux cakes aux pommes que Thérésa, ma maman, préparait pour la famille et les nombreux visiteurs...
Mais je ne voudrais pas abuser du temps que vous consacrez à me lire, espérant toutefois vous avoir permis de vous souvenir à quel point la nature et les humains peuvent être généreux lorsqu' on les respecte...
Jean Snaps